PRIX de la Musique à l’image
03/11/2016 à 10h11Le Grand Prix SACEM de la Musique à l’Image récompense Jean Musy. Il sera remis le 5 décembre 2016 lors de la grande soirée des Grands Prix Sacem.
Rencontre avec Jean Musy
Portrait « chiné » par Jean-François Tifiou
03 Novembre 2016
A l’occasion du Grand prix SACEM de la musique à l’image qui lui sera remis le 5 décembre prochain, je suis allé à la rencontre de Jean Musy, avec Katy Borie (Déléguée générale de l’UCMF). Jean habite à quelques kilomètres de Versailles, dans un endroit qui lui ressemble. Son studio d’enregistrement est au rez-de-chaussée, il donne sur le jardin. La vingtaine de chats avec lesquels il partage son territoire s’y promènent.
« Avant-hier un de mes chats s’est fait écraser. Avec ma femme, on a un peu de mal à s’en remettre », nous dit-il.
L’homme est sensible. Je ne dis rien, m’assois sur un petit tabouret face à ses écrans, un félin blanc me passe entre les jambes… La première fois que nous nous sommes rencontrés avec Jean, c’était lors d’une réunion de l’UCMF. J’avais l’impression d’être face à quelqu’un de ma famille. Lui m’a dit tout de suite qu’il m’aimait bien ou un truc comme ça :
« Je ne sais pas pourquoi mais je te trouve sympathique »
Il ne mange plus de viande depuis longtemps, la condition des tous les êtres vivants est une de ses préoccupations premières. Il s’assoit sur son fauteuil face à la console et annonce qu’il a réservé au restaurant. Je lui rappelle nous sommes là pour une interview. Il me regarde, esquisse un petit sourire qui veut dire « je sais, mais on va faire comme je veux » C’est mort, je sens que cela va être compliqué, que je ne pourrais pas le filmer ou alors si je le filme, il ne dira rien.
Jean Musy est un poète, un artiste, imprévisible, libre, sans plan de carrière ; Il est né le 18 décembre 1947 à Levallois-Perret. Balkany lui a d’ailleurs proposé une médaille qu’il a refusé, nous confie t-il.
Quand je lui demande quel a été son premier instrument, il me répond un piano, vers 3 ans. Il habitait dans une HLM, les appartements étant trop petits, le piano d’une voisine était entreposé sur un pallier de la cage d’escalier et il passait son temps sur l’instrument, il en jouait à chaque fois qu’il le pouvait.
Très précoce, c’est à l’âge de 7 ans qu’il débute comme pianiste-accompagnateur des grands artistes de l'époque, dans les émissions radiophoniques de Jean Nohain sur Radio Luxembourg. Vers 14 ans il commence à faire partie de groupes, découvre l’orgue Hammond et le jazz. À 16 ans, il rencontre Mickey Baker, guitariste américain, musicien de studio et arrangeur de Johnny Hallyday et devient l’accompagnateur de Nino Ferrer.
Jean confesse :
« Je n’ai pas beaucoup aimé cette période, l’ambiance autour de Nino était assez malsaine cela ne me convenait pas, je me suis barré au bout d’un an. »
Grâce aux relations de Mickey, il est présenté à Joe Dassin. En 1968, Johnny Arthey, l’arrangeur anglais de Joe Dassin, tombe malade. Joe Dassin demande alors à Jean d’écrire l’arrangement d’une chanson qu’il doit enregistrer 48h après : « Aux Champs Élysées ». C’est un succès, ce n’était pas prévu !
« Au départ, « Aux Champs Élysées » était une face B, Dassin n’y croyait pas. »
L’homme est humble, mais tout à fait conscient de sa carrière et de son talent. De son métier, il en parle avec passion, s’emporte parfois mais toujours avec modestie. Il parle de ses enfants, des femmes de sa vie, et lâche parfois quelques bombes que je ne pourrais jamais raconter ici, il est bien avec nous et il se confie :
« Tu sais, j’ai vécu presque deux ans au Japon, j’étais très amoureux, je travaillais pour des productions là-bas, ma grande fille vit en Allemagne, j’ai un fils qui a ton âge… »
C’est difficile de rester concentré avec lui car il prend un malin plaisir à jouer avec les éléments, la conversation, ses interlocuteurs. Mais c’est un plaisir car la méchanceté ne fait pas partie du bonhomme. Pour beaucoup, il est une légende.
Faire la liste de tous les artistes avec lesquelles il a travaillé est impossible mais on peut citer :
Il était une fois (arrangements, direction d’orchestre et accompagnement au piano), il collabore avec Barbara, Michel Jonasz, Yves Duteil, Nicole Martin, Nicole Rieu, Nicole Croisille, Dick Annegarn, Nicolas Peyrac, Charles Aznavour, Mouloudji, Véronique Sanson, Catherine Lara, Francis Lai (Bilitis), Gipsy Kings, Georges Moustaki, Anna Prucnal, Demis Roussos, Françoise Hardy, Serge Reggiani, Gilbert Bécaud, Mireille Mathieu, Fabienne Thibeault, Noëlle Cordier, Nino Ferrer, Georges Chelon, Gérard Berliner, Petula Clark, Frida Boccara, Patric (chanteur occitan), Dalida, Gilbert Laffaille, Manon Landowski, Salvatore Adamo, Isabelle Aubret, Marie Laforêt, Daniel Guichard, Martyne Degand, Ghislaine Paradis, Gérard Lenorman, Jean Faubert, Jeane Manson, Bernard Dimey, Pierre Haralambon, Dave, Marie-Paule Belle, Linda de Suza….
https://www.youtube.com/watch?v=2KxjP-3HHCY
…Une carrière durant laquelle il a enregistré plus d’un millier de 45 tours, 150 albums, composé près de 200 musiques de films et séries TV, un opéra…, bref un monstre sacré avec des yeux d’enfants. Il a le regard malicieux, celui de ceux qui aiment bien faire une connerie, se mettre en danger.
Il s’attarde un peu sur son parcours, avoue avoir été parfois obligé d’accepter un boulot pour payer les factures, les pensions alimentaires. Il ne triche pas, il n’est pas de ceux-là. Quand il commence à « balancer » sur le métier, il dit tout, sans filtre, ce n’est pas un politique, c’est un diamant brut, moitié anar, moitié sauvage avec un regard bienveillant sur les autres.
Le restaurant qu’il a réservé a pour spécialité le bœuf limousin mais ni lui ni nous ne mangeons de viande et cela nous fait rire.
Il aime la bonne bouffe, les femmes, les bonnes bouteilles. Il nous parle de Jean-Claude Brisseau, je sens qu’il a une tendresse pour l’homme. Il a composé la musique de 5 de ses films et d’un coup il lâche :
« Noce blanche c’était un peu particulier car la maquette que je lui ai proposé on n’a pas pu la retoucher, on n’avait pas un rond. »
Puis il parle de Buñuel, de Costa Gavras, Lelouch, Michel Lang, Robert Enrico, Claude Zidi, Gérard Oury…
Son parcours est atypique. Jean est un autodidacte, passionné, passionné par Stefan Sweig dont il sait presque tout. Son amour pour l’écrivain l'a conduit naturellement à lui rendre hommage à travers « MON CINEMA SANS IMAGE ».
Dans ces films sans images que Jean réalise, l’imaginaire est primordial. Le scénario, les ambiances sonores et la musique originale sont créés pour chaque film :
« Plongés dans l’obscurité d’une salle, la force et la puissance d’écriture de Jean Musy entraine les spectateurs à faire fonctionner leur sens et bien entendu leur imaginaire et c’est de cet imaginaire que nait l’image … Le résultat ainsi obtenu devient alors un film qui nous transporte dans le monde lié à nos émotions, celui que vivent au quotidien l'ensemble des personnes déficientes visuelles. Cette œuvre est donc faite pour eux, mais pas exclusivement, car par la magie de ce procédé d’écriture et la découverte de ce cinéma très particulier, ce sont les non-voyants qui nous invitent dans LEUR cinéma et non l’inverse. »
L’après-midi se termine et, déjà, il faut rentrer. Parfois, quand le ciel est clément, le temps semble s’arrêter sur de petits moments de vie, des rencontres qui, comme ça, l’air de rien, ont fait l’homme que je suis aujourd’hui. Katy nous raccompagne en voiture car aucun de nous deux ne conduit. Il me dit qu’il lira mon livre cette nuit, j’en suis heureux.
Le 5 décembre Jean Musy recevra donc le Grand Prix Sacem de la musique à L’image. Avant que nous le quittions, il nous dit :
« Vous viendrez le 5, parce que moi je connais personne ! »
Je le regarde, j’ai envie de me marrer et lui répond : oui bien sûr !
Même si je sais que ce soir-là, tous les vieux complices ou « la belle bande d’enculés », comme il aime nous appeler, lors des conseils d’administrations de l’UCMF, tous, nous serons là pour lui, pour son travail, pour saluer un homme exemplaire, un talent rare, une véritable légende. Alors Bravo, Bravo M’sieur ! Et encore Merci pour cette belle journée.